Evolution de mes mouches. Emergentes & cul de canard

Les années 1980 viennent de débuter, la pêche à la mouche se démocratise et j’achète toutes les revues qui paraissent dans les kiosques; quand un montage me parait intérèssant je m’installe aussitot à l’étau pour le réaliser, je dépense une petite fortune pour assouvir ma passion du montage.


Au sein de ma société de pêche, nous ne sommes qu’une petite poignée de moucheurs, je fais partie du bureau et je vis comme une véritable injustice de ne pas pouvoir pêcher avant l’ouverture de l’ombre, à force de ténacité ma requète se réalise enfin, je pêche au mois de mars sous les giboulées, je suis le seul à le faire les autres moucheurs sont à la cuillère vaironnée. On commence à causer dans les chaumières, pour certains je suis le foldingo du village, pour les autres un puriste, quelques réflexions sur les rives de la Loue me font comprendre que suivre un chemin différent des traditions populaires est mal perçu dans la vallée.

J’ai acheté deux beaux livres, Confidences d’un pêcheur à la mouche de Raymond ROCHER, et L’art de la pêche à la mouche sèche de Jean Paul PEQUEGNOT, la lecture de ces ouvrages me permets de progresser plus rapidement en technique et m’apporte quelques bases d’entomologie. J’ai décidé de ne plus pêcher qu’a la mouche, mais la lecture de l’article de Jean VAUFREY sur l’oreille de lièvre m’a ouvert une nouvelle vision sur mes futures imitations.

L’oreille de lièvre

Je pêche un peu moins en sèche, je confectionne des modèles qui évoluent dans ou sous la pellicule, ceux ci me permettent de prendre quelques poissons chipoteurs, mais ce ne sont pas des mouches miracles; l’aspect général me plait mais quelque chose me tracasse, jusqu’a ce jour ou un ami me prète un ouvrage, c’est le traité pratique de montage des mouches artificielles de Henri PETHE, j’y découvre la technique du dubbing loop, jusqu’a présent je confectionnais un fuseau de fourrure que je torsadais sur une Gossamer préalablement poissée, en tete je déposais une pincée de poils. C’est une importante découverte, mais mon travail ne me plait pas, j’ai mis trop de poils , c’est trop touffu, ce n’est pas pêchant; j’affine le montage sur les mouches suivantes, juste quelques fibres.

La Bigoudine

Oreille de chevreuil. La Ségolène

La Goubote

la Chichite

La Bataillard

Par une belle journée de juin, je rejoints Roger chez lui à Dôle, il m’a invité à pêcher les gravières de Montbarrey et des Goubots, je lui montre mes nouvelles créations, il est content que je suive ses conseils il apprécie les mouches peu fournies. Nous partons sur les rives de la basse Loue, avec dans la deudeuche un solide casse croute que Lucienne son épouse nous a préparé, on allait voir ce qu’on allait voir, avec ses mouches là, j’allais lui mettre la patée, il allait s’en souvenir. Au terme des deux jours de pêche je n’avais pris qu’une truite d’alevinage, une arc en ciel en plus, pourtant les ombres s’étaient mis à gober et je n’en avais pris aucun, mon vieil ami avait pris deux truites de souche et cinq ombres, c’était la déconfiture totale, et voir le léger sourire sur son visage, tout occupé qu’il était à rouler une cigarette de son horrible tabac gris m’a fait comprendre que j’avais encore un long chemin avant d’arriver à son niveau, à ma décharge, cela faisait quand même soixante ans qu’il écumait la Loue.

La Rougetot

La Jeannot, inspirée d’un modèle de Bernard MAILLET

La cramaillotte

Sedge de Pierre CAMERONI

C’était une de nos dernières journées de pêche ensemble, je devais je pense un peu trop l’ennuyer avec mes questions incessantes et en 1988, à 78 ans il décida d’aller pêcher seul d’autres rivières, plus belles parait il, je pris donc l’habitude de pêcher en solitaire.

Les Goubots

Puis est arrivée la période club, quelques halieutistes le souhaitaient ainsi que des personnes qui désiraient pêcher à la mouche, le GPS du Doubs était né. J’y ai fait de nombreuses connaissances, notamment André TERRIER qui venait de temps à autres nous honorer de sa présence, cependant après deux ans de présence je quitte le club, l’orientation de celui ci pour la compétition ne me convenait pas, je préfère etre tranquille au bord des rivières.

J’habite maintenant à quelques minutes de la Loue, lachement j’ai abandonné le prince charmant qu’est le Dessoubre, j’ai succombé aux atours de la reine, la Loue. J’ai une action à Cléron depuis 1980, et je passe le plus clair de mon temps sur ses rives.

La Loue à Cléron

Un détaillant d’articles de pêche Bisontin m’avait vanté les qualités d’une plume, le cul de canard, on n’en trouvait pas dans le commerce, il fallait etre chasseur, mais j’avais trouvé la combine, j’allais plumer les volatiles au marché couvert de Besançon, un ami y tenait un commerce et cela arrangeait les employés, autant de travail en moins, je faisais également main basse sur les oreilles de lièvre et de chevreuil, heureux temps maintenant révolu, le gibier arrive sur les étals plumés et emballés sous vide, les sacro saintes normes d’hygiène, fais c..er cette europe !!!

L’ATE de André TERRIER

Spent de mouche de mai

Le cul vert

Les magazines spécialisés commencent à faire grand cas de ces plumes, mais on ne voit pratiquement que des montages de voiliers, cependant un monteur professionel propose des modèles innovants, il s’agit de Mr AVAKIAN, pour ma part je continue de monter mes mouches en hackle twisté, je m’aperçois rapidement que celles ci sont prenantes, surtout sur les ombres, dans le cercle de mes connaissances personne n’utilise cette mouche, ils sont toujours sur des modèles en plumes de coq, et on se demande comment je prends des poissons quand la pêche est difficile. La pêche en nymphe est maintenant interdite suite au mauvais comportement de quelques personnes, cela ne me dérange pas trop car j’avais jusque la fait de timides essais assez peu concluants, mais c’est à cette période que j’allais commencer à avoir quelques soucis, des pêcheurs envieux racontaient que je pêchais en nymphe alors que j’utilisais des émergentes, pour ces esprits bornés, ils le sont toujours d’ailleurs, tout ce qui ne flotte pas est une nymphe, ces Judas qui souvent me réclamaient des mouches que je leur donnais aimablement ne perdaient pas une occasion pour me nuire, ce qu’ils ne savaient pas c’est que le garde pêche de l’époque était un ami, qui me tenait au courant de leurs délations.

la Mouchette

La treize au dessus

La finaude

je continue mes montages tranquillement, la pêche à la mouche à le vent en poupe, de nombreuses personnes viennent passer quelques jours au bord des rivières, un concept révolutionnaire venait même de voir le jour, le lodge de la PIQUETTE, cette nouvelle vision de la pêche dans la moyenne vallée de la Loue apportait un élément qui nous était inconnu, le NO KILL, cette manière de pratiquer allait à l’encontre de ce qui ce faisait depuis des générations, il y avait même quelques articles dans les revues, cela attisait les jalousies dans ce contexte rural ou la pêche tient une place importante dans la vie de certaines familles, des braves gens bien intentionnés prévoyaient une faillite proche, ca ne pouvait pas marcher. Ce parcours pratiquement fermé ou étaient venus les plus grands noms était maintenant accessible.

Le lodge de la Piquette

Bien que demeurant à dix minutes de celui ci, j’économisais mes petits sous pour me payer un week end de pêche, je travaillais en équipe de nuit, en revenant à mon domicile à sept heures du matin mon épouse m’annonce que Marc GATEZ voulait me voir pour des histoires de pêche, je tombais des nues. En début d’après midi celui ci  arrive à mon domicile et m’invite à lancer quelques mouches dans sa propriétée, pour ceux qui connaissent il me place au HLM, poste n° 16, et la jusqu’a 20 heures je passe un moment dont je me souviendrai longtemps, pêcher seul sur un parcours magnifique, avec des poissons tranquilles qui ne subissaient pas une avalanche de plomb de tout calibre sur le museau comme cela se passe dans certains endroits, j’étais comblé. Marc me demanda de l’assister sur sa pêche, l’endroit était magnifique, le maitre des lieux avait l’air sympathique, je lui donnais mon accord, c’était parti pour huit années au lodge.

Marc était un excellent pêcheur, mais après deux coups du soir sans grande réussite, il demanda à voir mes mouches, j’avais bien réussi avec mes clients, mes imitations étaient inconnues pour eux, ce fut un éclat de rire général , ils pêchaient encore avec des gros sedges bien vernis et la vision de ma bestiole hirsute en poils de lièvre allait à l’encontre de ce qu’ils avaient toujours fait, Marc ne pu s’empêcher de m’en chiper quelques uns, cette mouche n’allait plus quitter sa boite. Avec étonnement je retrouvais un jour un de mes meilleurs amis au lodge, Julien D, excellent pêcheur en rivière mais également en mer car il avait en gérance un camp de pêche, c’était la moussson il était revenu au pays, nous discutions de la mouche d’Ornans, et de cet entretien naquit la nouvelle version en CDC, qui est maintenant dans de nombreuses boites.

Mouche d’Ornans en CDC

J’ai connu sur ce parcours de grands monteurs, un de ceux ci se nommait Pierrre CAMERONI, mais mon meilleur souvenir fut le temps d’un week end la réunion entre les quatres monteurs les plus en vue du moment, spécialistes du CDC, Mrs FRATNIC, VEYAT, LAIBLE et PETITJEAN, quatre nationalitées différentes exposaient leur savoir faire, j’ai appris de nouvelles techniques et depuis une mouche de Gérhard LAIBLE me suis partout, la Totonne.

La Totonne de Gérhard LAIBLE

La rouge

La Titelle

Nous sommes en juin 1989, je suis encore pour peu de temps garde pêche de L’AAPPMA de Cléron, je décide au milieu de l’après midi d’aller faire une tournée et comme le temps est propice je resterai pour faire le coup du soir. Après quelques controles de routine, j’arrive aux  » Iles en Gon « , il y a une voiture que je ne connais pas immatriculée dans la Drome, sans me faire repérer je m’approche de l’homme, la soixantaine, pas de matériel dernière mode et clinquant, il lance merveilleusement bien, en une heure il prends trois truites, je décide d’intervenir et je me présente en déclinant ma qualification, très courtois mon pêcheur pose sa canne et me présente son permis, stupeur je lis tous les ans un ouvrage qui m’a tout appris et j’ai devant moi l’auteur de ce livre, encore une fois je n’en mène pas large.

Décidément St Pierre me tourmentera jusqu’au bout, il a décidé de me faire pêcher à la nymphe à vue, et l’homme qui est devant moi qui deviendra un ami m’y encourage fortement.


10 Commentaires


  • Commentaire from Alex

    Encore merci Gérard pour ce très bon moment de lecture!
    Cela me permet en plus de revoir certaine de TES mouches comme la Ségolène ou la Goubotte…
    Et puis ta fameuse mouche d'Ornans, qui maintenant, ne quitte plus mes boites…

  • Commentaire from nevermind

    Oui vivement la suite ! Avec Raymond bien sûr !

  • Commentaire from fabien56

    Salut pouic, lorsqu'on lie tes récits on ressent la passion qui est en toi.
    L'air y est plus humide, on entend parfois le bruite de la rivière.
    La pêche à la mouche transforme un homme.
    Comment fait tu pour rester aussi humble.
    Respect.
    Bonne journée fabien.

  • Commentaire from TJB

    Merci Gérard pour cette suite de tes aventures et ton évolution de pêcheur-monteur.
    Il me tarde (encore une fois 😉 ) de lire le 3è épisode avec cette dernière rencontre du pêcheur dromois qui se prénomme, peut-être, Raymond … 🙂

  • Commentaire from Alcyon

    Salut Pouis, comme tous les gobeurs, merci !
    Merci pour l'article et les photos, le texte et les images démontrent que la pêche à la mouche est plus qu'un passe temps c'est une véritable ligne de vie où les hommes, les techniques se croisent et s'enrichissent, merci pour ce témoignage, si j'avais eu ton talent j'aurais dit la même chose, sur d'autres hommes, d'autres rivières, d'autres mouches pour la même aventure !!
    En résumé, donc, encore merci !!!

  • Commentaire from C.Lecoq

    C'est passionnant ton récit et tes montages!
    Ce soir, j'ai le sentiment de mieux te connaitre.
    Respect Monsieur !

  • Commentaire from fanfouet

    C'est très intéressant Pouic ! Ta « cremaillote » est absolument superbe !
    Vivement la suite…

  • Commentaire from christophe douziech

    Un voyage avec la créativité, la tradition, la beauté de cette pêche, merci.
    Chris

  • Commentaire from Florent

    Tout est juste : tes mots se fondent les uns avec les autres comme le cours de l'eau. Une seule déception : quand arrive la fin. De plus, tes photos sont très réussies. Merci pour ce cadeau !
    Florent

  • Commentaire from Nicolas

    Quel plaisir que de te lire Gérard!!!
    Merci une nouvelle fois pour cet historique remarquable!


Laisser un commentaire